Claude Létourneau : un maître très discret
Article de Richard Boisvert, Le Soleil, Arts & Spectacles, mercredi 26 décembre 2012
Héritage de Claude Létourneau
La méthode développée par Claude Létourneau a contribué à former plus de 60 000 violonistes.
Le musicien appartenait à une fameuse dynastie musicale. Omer Létourneau, son père, fut organiste, compositeur, éditeur et fondateur de la Procure générale de musique. Il en menait large à Québec. Claude, bien que moins flamboyant, a contribué de façon significative au développement de la musique et de l'art non seulement au Québec, mais aussi en France, en Belgique et en Suisse. De nombreux musiciens sont devenus des professionnels de premier ordre grâce à la méthode de violon de Claude Létourneau. Encore plus nombreux sont ceux qui ont développé une connaissance et un amour profonds de la musique, sans pour autant faire du violon leur gagne-pain. On estime à plus de 60 000 le nombre de personnes qui, grâce à lui, ont été initiées aux instruments à cordes.
L'oeuvre et le nom de Claude Létourneau sont aujourd'hui célèbres, et c'est bien malgré le principal intéressé. Comme le rappelle Éric Soucy, son élève pendant une dizaine d'années, le trait le plus remarquable de la personnalité du maître, c'est le total désintéressement dans lequel il a poursuivi son oeuvre. « C'était un ascète dans sa manière de vivre, note l'altiste. Il prenait son travail au sérieux, il avait un sens aigu du devoir. Pour lui, transmettre l'apprentissage aux jeunes, c'était sacré. Il aurait fait un excellent moine ».
Éric Soucy est aujourd'hui super soliste au sein de l'orchestre de la radio sud-bavaroise, le SWR Sinfonieorchester, à Baden Baden, en Allemagne. Il a enseigné pendant huit ans à l'Université de Karlsrühe et donne aujourd'hui des cours de maître un peu partout dans le monde.
Pour le musicien originaire du Saguenay, la méthode Létourneau est restée un outil de travail quotidien. « Avec ça, tu te bâtis une technique solide de sorte qu'au final, la touche du violon devient aussi sûre que celle d'un piano ».
L'être humain avant tout
Alors que d'autres professeurs s'intéressaient seulement à former une troupe d'élite, Claude Létourneau, lui, croyait d'abord en l'être humain. « C'était quelqu'un de pragmatique, capable de s'émerveiller du talent des autres, quelqu'un qui avait des convictions profondes et qui les a transmises à des gens qui pouvaient les transmettre à leur tour, fait valoir Éric Soucy. Il voulait que partout, dans chaque petit village, il y ait quelqu'un capable de transmettre l'apprentissage des instruments à cordes. Pour moi, c'est un personnage qui est hyper-important dans l'histoire de la musique au Québec. Il a réussi à élargir la base du triangle tout en visant l'excellence. Des gens qui se sont donnés à ce point-là sans jamais avoir besoin de se faire reconnaître, il n'y en a pas tant que cela ».
En 1980, à l'occasion des 15 ans de la méthode de Claude Létourneau, 1200 violonistes s'étaient réunis au Grand Théâtre. La télé de Radio-Canada en avait fait le sujet des Beaux dimanches de Radio-Canada. L'émission allait permettre au pédagogue de connaître l'une des rares heures de gloire et de reconnaissance de toute sa vie.
La soif de connaître
Claude Létourneau a mis au point sa méthode vers le milieu des années 60 en s'inspirant de méthodes qui existaient ailleurs, celle de Suzuki et de Kodaly, entre autres, en y puisant ce qu'il y avait de mieux, et en adaptant le tout au contexte québécois, notamment par l'intégration de pièces du folklore d'ici.
« Il était très documenté, rappelle son fils Denis, lui-même violoniste et actuel responsable des Éditions Claude Létourneau. Toute sa vie, il a gardé la même curiosité. Il ne s'est jamais assis. Il a été le professeur de violon qui a donné le plus de premiers prix au Conservatoire ».
Le violoniste s'est beaucoup intéressé à la direction d'orchestre. Pendant la guerre, au cours de son séjour d'études à New York, il a eu la chance de voir Arturo Toscanini répéter avec son orchestre. Après avoir remporté le Prix d'Europe, il est retourné aux États-Unis pour étudier avec le chef Léon Barzin.
Claude Létourneau n'était pas du genre à se vanter. De sorte que peu de gens savent qu'en 1985, Yehudi Menuhin l'avait invité à venir enseigner à ses côtés en Angleterre. De passage à Québec, le maître réputé avait été vivement impressionné par la qualité de ses élèves. « Papa n'aimait pas l'avion et il était très pantouflard, se souvient Denis Létourneau. Ça ne l'intéressait pas de partir huit semaines en Angleterre. Il préférait rester à Québec avec sa femme. Il disait : Moi, l'été, je me repose! »
Une douzaine d'années plus tôt, Ivan Galamian, un autre grand pédagogue, lui avait offert un poste d'enseignant au Curtis Institute de Philadelphie. Rien à faire.
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